IV
- Georges ! Je n’ai jamais été aussi heureuse de te voir !
Le susnommé leva la tête de son
ordinateur et adressa un sourire interrogateur à Keira, qui se tenait devant
lui en affichant une moue qu’il n’arrivait pas à définir exactement.
- Pourtant, tu me voies tous les jours ! lui dit-il sur un ton empreint d’une pointe de méfiance. Pour être plus exact, tu passes devant moi tous les jours !
- C’est juste… Mais, aujourd’hui, j’ai besoin de tes fameux talents d’informaticien pour me retrouver un appel passé à Police Secours.
Georges ne put contrôler un éclat
de rire qui sonna étrangement, un peu comme un reproche.
- Soit tu me prends pour un imbécile, répondit-il sur un ton sarcastique, soit tu n’y connais vraiment rien en informatique ! Et, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai envie de pencher pour la première hypothèse… Depuis quand a-t-on besoin d’un spécialiste de l’informatique pour retrouver un enregistrement téléphonique ?
Georges Romain était un gringalet
de25 ans, arrivé dans les locaux du SRPJ depuis six mois à peine, après avoir
passé 4 ans au 36 Quai des Orfèvres.
Il était entré dans la police, en
tant que gardien de la paix, à ses 18 ans, et, un an et demi plus tard, il
passait brillamment le concours de lieutenant. S’étant fait remarquer et
connaître par sa hiérarchie pour ses compétences de hacker, il avait été
affecté dans une brigade luttant contre la pédophilie sur le Net, au très
fameux 36.
Georges était le stéréotype du
petit génie informatique tel que l’on peut se l’imaginer dans notre
subconscient : plutôt grand et mince, pour ne pas dire chétif, avec une
tignasse blonde, dont une mèche rebelle lui barrait constamment le front, et
une paire de lunettes de vue un peu trop grande pour la morphologie de son
visage. En résumé, il faisait un peu penser à Spencer Reid dans la série « Esprit Criminel ». Cela dit,
tous les maigres, grands ou petits, ne sont pas nécessairement de grosses
têtes, pas plus que les gaillards musclés ne sont des brutes épaisses dénuées
d’intelligence, loin de là. Mais, dans le cas présent, Georges était vraiment
doué d’une intelligence bien au-dessus de la moyenne. Comme tout bon hacker, il
disposait d’un pseudonyme reconnu et respecté dans le cercle très fermé du
monde des pirates 2.0.
Au poste de Melun, tout le monde,
Keira en tête de liste, estimait que ses talents n’étaient pas exploités à
leurs justes valeurs, à leurs justes utilités. Plutôt que dans un commissariat
sans trop d’importance, il aurait été sans doute plus judicieux de l’affecter
dans un service dédié aux renseignements, voire au contre-espionnage. En fait,
personne ne savait pourquoi il avait quitté le prestigieux 36 pour venir
s’enterrer dans la Seine-et-Marne et, lorsqu’il était questionné sur le sujet,
Georges se faisait très évasif dans ses réponses, tant et si bien que beaucoup
commencèrent à se questionner. Etait-ce vraiment un transfert à sa
demande ? N’avait-il pas plutôt été débarqué ?
Georges était arrivé quelques
semaines après qu’éclate l’affaire de la cocaïne volée dans les locaux du 36,
affaire dont l’enquête était toujours en cours… Coïncidence, ou bien relation
de cause à effet ? Georges était-il un ripoux ? Un témoin
gênant ?
Keira était l’une des rares à ne
pas avoir prêté l’oreille aux rumeurs de ses collègues en mal de sensations
fortes. A deux reprises, elle était même intervenue pour calmer les ardeurs de
certains, devinant que Georges, bien qu’il ne dise rien, souffrait de ce que
l’on pouvait penser de lui. Peu importe pourquoi il avait atterri ici, elle
appréciait ce gringalet.
- Je n’ai jamais eu l’intention, de près ou de loin, de te prendre pour un imbécile, répondit-elle sur un ton blessé. Je pensais pourtant que tu me connaissais un peu mieux que ça !
Dès son arrivée à Melun, dès sa
présentation à l’équipe du commissariat, Georges avait été plus que sensible
aux charmes du capitaine Keira Leroy. Rapidement, il avait compris qu’il n’y
aurait jamais rien de possible entre eux, mais une complicité s’était formée,
gagnant encore plus de poids lorsqu’il avait vu la jeune capitaine prendre sa
défense.
- Excuse-moi, balbutia-t-il rouge de confusion. Je ne sais pas ce que j’ai aujourd’hui. Je sais très bien ce que tu penses de moi, ajouta-t-il en esquissant l’ébauche d’un sourire.
- Est-ce que tout va bien ?
- Oui, oui… Je suis un peu fatigué, voilà tout.
- Georges, quels que soient tes problèmes, tu sais que tu peux tout me raconter, n’est-ce pas ?
- Oui, je le sais… C’est quoi l’appel que tu veux que je te retrouve ?
A plusieurs milliers de kilomètres
de la Seine-et- Marne, de l’autre côté de l’Atlantique, le député Stéphane
Marques ignorait encore tout du drame qui s’était joué dans sa résidence
secondaire de Provins. Installé dans un somptueux fauteuil en cuir noir, face à
une immense baie vitrée donnant sur l’East River, il se tirait lentement des
dernières brumes du sommeil, une grande tasse de café noir dans la main, en
écoutant les nouvelles d’une radio New-Yorkaise.
Sa nuit avait été courte, très
courte, pour ne pas dire blanche, mouvementée par les assauts répétés de la
belle brune qui, à présent, dormait paisiblement dans le grand lit aux draps
souillés par leurs différents ébats sexuels.
Marques était arrivé la veille au
matin, heure New-Yorkaise, et avait aussitôt rejoint l’hôtel, situé à 30
minutes de l’aéroport JFK, où l’attendait une suite de luxe intégralement payé
par son parti et pour deux nuits. Il ne venait pas faire du tourisme, mais
était en voyage d’affaire, une négociation politicienne dont il espérait sortir
avec une nouvelle alliée de poids pour sa prochaine campagne, la patronne du
FMI. Au travers d’elle, en s’assurant son soutien, il comptait bien ramener à
sa cause d’autres personnes encore plus influentes.
Le rendez-vous ayant été fixé au
lendemain, pour le déjeuner, il avait décidé de combler son temps libre en
joignant l’utile à l’agréable en ajoutant un programme particulier à son
escapade New-Yorkaise, programme qu’il avait planifié avant de quitter Paris.
Marques était un homme à femme ou,
pour être plus exact, avait une addiction très prononcée pour les plaisirs du
sexe ; il lui était impossible de donner le nombre de fois où il avait
trompé sa femme depuis leur mariage, il y 30 ans, tant il avait si souvent
découché. Aimait-il sa femme ? A dire vrai, il ne s’était jamais posé
cette question.
Tous deux s’étaient rencontrés sur
les bancs de Science Po, puis s’étaient perdus de vue durant quelques années,
avant de se retrouver au hasard d’un meeting politique. A cette époque, Marques
n’était que l’adjoint au maire d’une petite ville de la banlieue nord de Paris,
encore très jeune dans le monde acéré des politiciens, mais affichant déjà,
sans vergogne, ses hautes ambitions. Grand, élancé, il prenait un soin
particulier à son physique, ayant compris depuis longtemps que la gente
féminine avait le pouvoir de faire ou défaire une force politique, fréquentant,
à raison de trois fois par semaine, les salles de sports ainsi que les cabines
à UV. Il avait réussi à se sculpter un corps d’athlète et son teint,
perpétuellement halé, faisait encore mieux ressortir la perfection de son
sourire qui s’ouvrait sur une dentition au blanc parfait. Il attachait aussi un
soin très particulier à ses tenues vestimentaires, s’offrant le luxe de
s’habiller chez les grands noms de la haute couture parisienne. Il avait tout
juste trente ans et vivait bien au-dessus de ses moyens, mais il avait toujours
su que ce train de vie finirait par porter ses fruits un jour ou l’autre. Bien
sûr, en ce temps-là, il collectionnait déjà un grand nombre de conquêtes
féminines, mais, depuis quelques temps, il songeait sérieusement à se ranger
ou, tout au moins, à se faire plus discret. Pour continuer à grimper les
échelons en politique, il avait pris conscience qu’il lui faudrait fonder un
foyer, devenir un mari modèle, un père attentionné ; le peuple devait
pouvoir s’identifier à un chef respectable ; retrouver celle qui avait
fait battre son cœur d’étudiant avait été comme un signe du destin pour lui et
il l’avait épousé, quelques mois plus tard, plus par ambition que par amour.
Les cinq premières années de leur
mariage, Marques, à son plus grand étonnement, s’était comporté en mari fidèle
et aimant et une fille était née de cette union. Ce fut après cette naissance
que sa carrière politique avait commencé à décoller. Devenu maire d’une ville
de plus de 30 000 habitants à 36 ans, il aurait pu se sentir un homme
heureux, pourtant il n’avait jamais cessé de ressentir un manque, un grand vide
dans sa vie, un sentiment de mal-être dont il ne comprit l’origine que
lorsqu’il donna son premier coup de canif à sa fidélité.
Cela s’était produit avec sa propre
secrétaire, entre deux rangées de vestiaires, dans un gymnase qu’il avait
inauguré quelques heures plus tôt. Leur rapport avait été brutal, bestial, et
il avait alors réalisé ce qu’il lui manquait tant dans sa vie, quelque chose
d’essentiel, quelque chose qu’il ne pouvait décemment pas faire avec la mère de
sa fille : le sexe, sans retenue, sans tabous. Il avait alors replongé
dans ses travers et s’était mis à vivre une double vie avec une aisance
déconcertante, devenant encore plus habile en politique ; un an après la
naissance de leur fille, un deuxième enfant venait au monde, Christophe, et
Marques redoubla de plus belle dans sa débauche.
Aujourd’hui député, Stéphane Marques
ne respectait aucune des règles qu’il édictait lors de ses grands discours politiques ;
il était le parfait contraire de l’image qu’il donnait en public, mais cela ne
lui posait aucun problème moral. Il était un menteur ? Et après ?
Quel homme politique, en ce bas monde, ne ment pas, ne cache pas ses
travers ? Aucun. Le vrai problème étant de ne jamais se faire prendre,
d’être continuellement d’une grande prudence dans ses actes.
Il y a environ deux ans, quelques
mois avant qu’il prenne une députation, Marques avait commis une imprudence qui
lui avait valu une grosse frayeur. Tout avait commencé par un étrange courrier
qui lui avait été adressé à son bureau, à la mairie. Il s’agissait d’un carton
d’invitation pour rejoindre un cercle très fermé de personnes s’adonnant au
libertinage sans tabous. « Vous
pensez tout savoir sur les plaisirs d’Eros ? », était-il écrit
sur ce carton, « Rejoignez mon
cercle et vous découvrirez que vous avez encore beaucoup à apprendre sur ce
qu’est le Plaisir… ».
Dans un premier temps, Marques avait
cru à une plaisanterie de mauvais goût, voire un piège tendu par l’un de ses
adversaires politique, et avait jeté le carton dans la corbeille à papier. Mais,
au fil de la journée, la curiosité s’était faite plus forte que son sens du
raisonnement. Il avait récupéré le carton et fait des recherches sur le Net à
partir du nom du club qui y était mentionné : Le masque de Titia.
Il avait passé son après-midi à
fouiller l’immense toile, sans rien de trouver de très concluant, sinon qu’il
existait plusieurs clubs portant ce nom et que l’on ne pouvait y entrer que sur
invitation. Qui était cette mystérieuse Titia ? Quelles étaient les
personnes qui avaient intégrées son tout aussi mystérieux cercle ? Il lui
avait été impossible de le découvrir, en revanche, il s’était convaincu d’une
chose : ces personnes devaient être riche, très riche, donc très
influentes et, par définition, d’une potentielle grande utilité pour sa
carrière. Ce fut ce dernier point qui le poussa à répondre à l’invitation. Il
avait donc envoyé un mail à l’adresse indiqué sur le carton et, deux semaines
plus tard, il avait reçu un retour de courriel lui proposant de se rendre à une
première soirée d’initiation, dans une villa située non-loin de Fontainebleau.
Le message précisait qu’il n’aurait pas à se préoccuper du transport : une
voiture, avec chauffeur, viendrait le prendre et le ramènerait dans la plus
grande discrétion ; il avait accepté, se jetant ainsi dans un piège
formidablement bien tissé.
Tout s’était déroulé comme énoncé
dans le mail : un homme, en costume sombre, chemise blanche, cravate noire
et casquette, était venu le chercher à son domicile au volant d’une limousine.
Marques avait prétexté un dîner d’affaire qui allait se prolonger très tard
dans la nuit, pour se donner un alibi auprès de sa femme. En chemin, le
chauffeur lui avait donné les règles importantes à suivre et lui avait aussi
remis un masque vénitien qu’il devrait porter sur le visage tant qu’il ne lui
serait pas demandé de le retirer. Lorsqu’il était arrivé sur les lieux de la
débauche, il avait pu s’apercevoir que tout le monde, hommes et femmes, invités
et employés, avaient le visage masqué ; du reste, pour la plupart, c’était
la seule partie du corps qui était couverte.
Cette étrange escapade avait mené
Marques jusqu’au bout de la nuit. Il n’avait pas rencontré cette Titia qui
l’avait invité à rejoindre son cercle, pas plus qu’il n’avait réussi à savoir
qui étaient les invités présents, mais il avait imaginé que, n’en étant
qu’à la phase d’initiation, il lui faudrait patienter un peu, gagner la
confiance des autres, avant d’espérer accéder à certaines connaissances. Quoi
qu’il en soit, il était reparti satisfait, repus de sexe dont il avait exploré
de nouvelles facettes, se découvrant un penchant dont il n’avait jamais
soupçonné l’existence chez lui.
Deux jours après cette mémorable
soirée, il avait reçu un mail contenant une vidéo en pièce jointe, avec ces
quelques mots : « je vous
recontacte très bientôt… ». La vidéo, d’une dizaine de secondes, le
montrait dans une situation qui pourrait être des plus embarrassantes si elle
était visionnée par d’autres. Allongé dans un fauteuil de gynécologie, les
mains attachées aux accoudoirs, les pieds pris dans les étriers, il se faisait
violemment sodomiser par une femme équipée d’un gode ceinture. La scène s’était
déroulée vers le milieu de la nuit, dans une pièce à l’écart des autres invités
et cela avait été le seul moment où son masque lui avait été retiré.
Après la peur de voir s’effondrer
tout son univers, tout ce qu’il avait construit jusqu’alors, une rage immense s’était
emparée de lui, plus contre lui-même, contre sa bêtise, que contre la femme qui
l’avait si brillamment et si facilement piégée. Cette dernière avait poussé le
vice jusqu’à le faire mariner une bonne semaine avant de prendre enfin contact
avec lui et il éprouva un immense soulagement, ainsi qu’un grand étonnement, en
découvrant qu’elle n’était pas une maître-chanteuse cherchant à négocier son
silence contre de l’argent : Titia voulait seulement s’assurer de
personnes puissantes pour couvrir certaines de ses activités ; les vidéos
étaient ses assurances-vie.
Il y a deux ans, Marques, bien que
très en vue au sein de son parti, n’était pas encore ce que l’on pouvait
appeler une personne puissante, mais Titia s’était proposée de l’aider à se
porter au premier plan ; en contrepartie, il se devrait de toujours
accéder à ses moindres désirs, quels qu’ils soient. S’il venait à ne pas
remplir sa part de contrat, la vidéo serait envoyée à la presse ; s’il
refusait sa proposition, la vidéo serait envoyée à la presse. Bien entendu, il
accepta et, avec le recul, n’avait finalement rien à regretter. Titia l’avait
effectivement bien aidée en lui présentant les bonnes personnes aux bons
moments ; son poste de député, obtenu avec tant de facilité, c’était à
elle qu’il le devait. Sa puissance, aujourd’hui, sa fortune qui avait triplée,
c’était aussi à Titia qu’il le devait ; son rendez-vous avec la patronne
du FMI, c’était aussi à elle qu’il le devait. Avec le recul, il se satisfaisait
de cette situation, même s’il savait avoir une épée de Damoclès en permanence au-dessus
de sa tête.
Cerise sur le gâteau, Marques
pouvait bénéficier, à loisir, du réseau de filles de Titia, des femmes prêtes à
assouvir les moindres fantasmes, n’importe où, à n’importe quel moment, et sans
avoir à débourser le moindre euro. Du reste, il était formellement interdit de
remettre de l’argent à ces filles, ou bien de leur offrir des cadeaux ou quoi
que ce soit d’autre qui puisse paraître pour un paiement d’un service de
prostitution.
C’était une de ces filles, Clarissa,
qui avait rejoint Marques dans sa suite, hier, en milieu d’après-midi. Ce
n’était pas la première fois qu’il faisait appel à elle ; on peut même
dire qu’elle était devenue une régulière, l’ayant totalement envouté par son art
subtil de la domination. Marques, à certains moments de sa vie, aimait être
soumis aux ordres d’une femme ; c’était ce qu’il avait découvert lors de
sa soirée d’initiation, un travers que Titia avait deviné, bien avant leur
première rencontre, sans qu’il ne sache toujours pas comment ni pourquoi elle
avait vu ce penchant caché en lui.
La lumière vive du soleil inondait
à présent tout le grand salon y diffusant une tendre chaleur. Les yeux clos,
son peignoir entièrement ouvert, Marques se délectait de ce bain solaire
improvisé. Il sentit sa verge endormie tressaillir légèrement dans le carcan
métallique où elle était enfermée. Dans le milieu de la nuit, Clarissa lui
avait installé une cage de chasteté qu’il allait devoir porter toute une
semaine, sa maîtresse étant la seule à avoir la clef permettant d’ouvrir le
minuscule cadenas qui maintenait tout le système harnaché à son sexe.
Ce n’était pas la première fois
qu’il se prêtait à ce jeu et il le faisait toujours avec autant d’excitation.
Il savait déjà que Clarissa, tout au long de cette semaine, lui enverrait
différentes photos coquines, via une application mobile, pour faire monter son
désir, mais aussi sa frustration jusqu’à la rendre presque intolérable. Il ne
pourrait pas se soulager : la cage enfermait parfaitement sa verge,
n’offrant qu’une petite ouverture, en forme de large entaille, pour qu’il
puisse uriner. Sa semaine allait être forte en émotions, mais il savait combien
la délivrance serait une explosion intense des sens, un orgasme d’une puissance
à vous faire perdre connaissance, surtout géré par l’expérience diabolique de
Clarissa. Fort heureusement, sa femme était partie passer une quinzaine de
jours chez ses parents, en Bretagne, et il n’avait donc rien à craindre de ce
côté-là.
Contrairement à ce qu’il pensait,
Clarissa ne dormait pas. Elle était entrée dans la pièce et s’était approchée
de lui sans qu’il s’en rende compte, tant il était plongé dans son bain de
soleil improvisé. Il sursauta mais n’ouvrit pas les yeux lorsqu’il sentit ses
mains fines se poser sur son torse. Il respira à pleines narines les volutes
parfumées qui se dégageaient du corps de sa maîtresse et ressentit
immédiatement des picotements secouer ses testicules. Sa verge commença à
durcir, mais l’érection fut très rapidement stoppée par l’étroitesse de la
prison.
Clarissa esquissa un petit sourire
en devinant ce qu’il se passait chez le député. Cet homme le répugnait et c’était
sans doute pour cela qu’elle prenait tant de plaisir à le soumettre, à
l’humilier. Elle fit glisser ses doigts le long du ventre, caressa son pubis
vierge de poils, puis saisit, entre deux doigts, la verge enfermée dans la
cage.
- Pauvre petit oiseau, susurra-t-elle sur un ton moqueur. Si fragile, si petit… si inutile !
Elle fit descendre sa main sur
les testicules, que l’anneau de serrage du dispositif faisait bien ressortir,
et y referma lentement ses doigts jusqu’à faire se raidir Marques sur son
fauteuil. Elle se délecta du cri de douleur qu’il poussa.
- Tais-toi ! Je ne veux pas t’entendre crier !... Tu sais quoi, j’ai envie de te posséder, de te sodomiser avec force, là, maintenant, contre cette baie vitrée !
- Oh oui…
- Oui, qui ? cria Clarissa en enserrant encore plus violemment les testicules.
Marques serra très fort les dents
pour ne laisser échapper aucun cri de sa gorge, mais se tordit de douleur sur
son fauteuil. Lorsque sa maîtresse relâcha la pression, il voulut lui répondre
après avoir repris son souffle, mais des coups, portés contre la porte d’entrée
de la suite, les firent sursauter tous deux, interrompant de facto leur séance.
Marques se leva et referma nerveusement son peignoir. Un étrange pressentiment l’envahi
brusquement ; la personne qui frappait à la porte donnait des coups
insistants, nerveux. Une voix intérieure venait de lui souffler qu’il se
passait, ou s’était passé, quelque chose d’important, de grave.
Mercier commençait à s’impatienter derrière le volant
de sa voiture. Cela faisait bien vingt minutes qu’il était stationné devant le
petit pavillon où résidait Maria Sanchez,
la femme de ménage des Marques, vingt minutes qu’il poireautait car il avait
trouvé porte close, Maria Sanchez n’étant pas chez elle, contrairement à ce
qu’il avait imaginé. Peut-être Marques n’était-il pas son seul employeur ?
Peut-être faisait-elle le ménage chez plusieurs personnes plus ou moins
fortunées ? Du reste, à la réflexion, cette femme était-elle réellement
employée par le député, ou bien appartenait-elle à l’une de ces petites
entreprises spécialisées dans les services à domicile ? Il aurait dû
prendre beaucoup plus d’informations auprès de ses collègues de Provins.
Quoi qu’il en soit, après avoir
vécu le choc de la découverte d’un cadavre, Mercier imaginait mal la pauvre
femme reprendre immédiatement son activité, ici ou ailleurs. Par expérience, il
savait que, en de telle circonstance, une personne normalement constituée va
chercher à se réfugier dans un endroit qu’elle considère comme sûr, son cocon,
chez elle, avec sa famille… Avait-elle de la famille dans les environs ?
Mercier sortit de sa voiture et
claqua rageusement la portière. Il s’était bêtement précipité ; il aurait
dû prendre bien plus d’informations ; il perdait son temps. Et puis,
pourquoi Keira attachait-elle tant d’importance à une vulgaire histoire de cul
qui, vraisemblablement, avait mal tourné ? Il prit son paquet de
cigarette, dans la poche de son blouson, et en alluma une sur laquelle il tira
une longue bouffée.
Une femme apparut au coin de la
rue. Elle marchait d’un pas rapide, nerveux. Mercier l’observa attentivement,
tout en recrachant lentement un nuage de fumée par les narines. De toute
évidence, elle ne pouvait être la femme de ménage : sur le rapport de police,
dans la partie état civil, il était
écrit que madame Sanchez était née en 1964 et la femme, qui poussait le petit
portail en fer forgé du pavillon, plutôt mignonne, n’avait pas plus de 30 ans.
« Il n’y a pas que son pas
qui est nerveux, pensa Mercier. Elle pue la nervosité ! »
La jeune femme sonna une première
fois, puis une autre, et encore une autre. Finalement, elle se mit à
tambouriner violemment contre la porte. Mercier jeta sa cigarette et traversa
rapidement la route.
- Maman ! hurla la jeune femme.
- Excusez-moi, mademoiselle.
L’inconnue se retourna en sursaut
et son regard marqua l’affolement en apercevant la carte de police que lui
présentait Mercier.
- Mon Dieu ! Mais que se passe-t-il ici ? demanda-t-elle dans un balbutiement tout juste compréhensible.
- Ne vous inquiétez pas, répondit Mercier sur un ton qui se voulait rassurant. Vous êtes la fille de madame Sanchez ?
- Oui… Je suis Clara… Qu’est-il arrivé à ma mère ?
- Elle est notre témoin dans une enquête en cours. Savez-vous où elle pourrait-être ?
- Elle devrait être ici ! Elle m’a téléphoné, il y a un peu plus d’une heure, totalement paniquée… Elle m’a dit qu’elle sortait du poste de police de Provins, qu’il s’était passé quelque chose de grave, que je devais venir le plus vite possible, qu’elle avait besoin de me voir ! Elle pleurait… J’étais au boulot… J’ai fait aussi vite que possible pour venir… Elle devrait être ici !
Soudainement dubitatif, Mercier
décida de faire ce qu’il n’avait pas fait la première fois qu’il était venu
sonner à la porte : s’intéresser de plus près à l’intérieur de la maison.
Il s’approcha de l’une des fenêtres et tenta de déchiffrer ce qu’il pouvait
distinguer au travers des épais rideaux en dentelle blanche. Cela semblait être
un petit salon, lourdement chargé en mobilier, mais où il n’y avait pas âme qui
vive. Il allait passer à une autre fenêtre, quand un détail attira son
attention ; c’était comme de petits flashs de lumière qui changeaient
d’intensité pas intermittence.
« La télévision est
allumée », conclut intérieurement Mercier. Quelque chose se réveilla alors
chez lui, quelque chose qu’il n’avait pas ressenti depuis bien longtemps,
depuis ce temps où il avait cessé d’être un bon flic. Il jeta un regard furtif
à Clara, puis la fit s’écarter pour accéder à la porte d’entrée. Il actionna la
poignée, qui tourna sans difficulté, et il entra dans un long couloir sombre.
- Madame Sanchez ? C’est la police ! Je suis avec votre fille ! Madame Sanchez ?
Il flottait une étrange odeur
dans le couloir, une odeur tout juste perceptible, légèrement acre, une odeur
que Mercier identifia rapidement.
- Attendez-moi dehors et n’en bougez pas tant que je ne vous aurez pas appelé ! ordonna-t-il à la fille Sanchez.
- Quoi ? Mais qu’est-ce qu’il y a ?
- Faites ce que je vous dis ! S’il vous plait.
Clara repassa de l’autre côté du
perron et Mercier referma la porte d’entrée avant de sortir son arme. S’il
avait oublié beaucoup de choses, plus ou moins volontairement, de son passé de
flic intègre, il n’avait jamais oublié l’odeur si caractéristique d’une scène
de crime sanglante ; le couloir puait le sang. Lentement,
précautionneusement, il s’y enfonça, le 357 pointé droit devant lui, le chien
relevé et le doigt sur la détente, prêt à faire feu. Tout était étrangement
silencieux. Il s’arrêta devant l’entrée du salon et l’inspecta sans y pénétrer.
La télé était bien allumée, le son mis en sourdine. Deux mètres plus loin, sur
le côté opposé au salon, il aperçut une porte légèrement entrebâillée. Toujours
avec la même lenteur, tous ses sens aux aguets, il s’en approcha et l’ouvrit
doucement de la paume de sa main gauche.
- Et merde ! lâcha-t-il en abaissant son arme.
La pièce était une cuisine de
petite taille, très en désordre. Sur le sol carrelé de blanc, le corps d’une
femme gisait dans une mare de sang.
- Maman ! Non !
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