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lundi 12 octobre 2015

Le Masque de Titia, chapitre V (brouillon)


V

Keira ne put se retenir de claquer un peu trop violemment la porte en quittant le bureau du divisionnaire Forestier. Elle se sentait habitée par une rage telle qu’elle en avait rarement connue dans sa vie, une colère qui lui donnait envie de casser tout ce qui pouvait se trouver sur son chemin, et tout ceci après une conversation qui n’avait pas durée 15 minutes.

Le terme « conversation » n’était sans doute pas le bon mot pour définir ce qu’il s’était passé dans ce bureau : une conversation sous-entend un dialogue, un échange d’idée, et Keira avait la nette impression d’avoir participé à un monologue où elle n’avait pas eu réellement son mot à dire. Une lueur noire dans le regard qui en disait long sur son état d’esprit, elle se dirigea dans la salle d’accueil du poste de police, là où se trouvaient les distributeurs automatiques, et se posta devant celui des boissons chaudes. Elle inséra une pièce de 50 cents et appuya vigoureusement sur le bouton de sélection ; la machine se mit à bourdonner, avant de libérer la boisson chaude dans un vacarme assourdissant, comme si elle manifestait son mécontentement face à la nervosité de la jeune femme.

Au commissariat, tout le monde s’accordait à dire que le divisionnaire Forestier était un homme assez secret, sans doute fortement désabusé par sa longue expérience au sein des forces de l’ordre et qui ne s’était jamais mêlé d’une enquête terrain depuis qu’il était en poste à Melun, soit environ une dizaine d’années. Ses seules activités se résumaient à lire, de temps à autre, quelques rapports de ses enquêteurs, d’assurer, par moment, un briefing ou débriefing, et, surtout, de passer ses journées enfermé dans son bureau à entretenir un embonpoint bien prononcé. Même quand il devinait que l’un de ses hommes était borderline, il n’intervenait que très rarement, seulement s’il pressentait que l’histoire pouvait l’éclabousser. La soixantaine passé, Forestier attendait paisiblement le moment de sa retraite, fuyant ses responsabilités en se bornant à assurer ses horaires de fonctionnaire. Il était un homme mou, totalement détaché, à des milliers de kilomètres de ce que sa fonction aurait dû lui imposer.

Cependant, Forestier n’avait pas toujours été ce flic totalement désintéressé à sa carrière. Sans aller jusqu’à avancer qu’il avait été un super flic, il avait été un sacré agent de terrain et avait travaillé avec les grands noms de la police française, de 1970 jusqu’au milieu des années 80. Ainsi, Keira n’ignorait pas qu’il avait fait partie de l’équipe de Robert Broussard, commissaire principal de la BRI, qui avait mené la longue traque contre l’ennemie public n°1, Jacques Mesrine, une traque patiente, implacable, et qui s’était terminée dans le sang, Porte de Clignancourt, le 2 novembre 1979.

Forestier avait fait une longue partie de sa carrière à la BRI, au 36, avant de rejoindre l’anti-gang, toujours au 36, puis, il y avait maintenant plus de 10 ans, la SRPJ de Melun. Ce dernier poste, bien qu’étant celui d’un commissaire divisionnaire, représentait un virage à 360°, celui d’un homme fatigué, usé, et qui aurait aimé être affecté dans un lieu encore plus éloigné de Paris et de son fameux 36.

Keira en savait plus sur son commissaire, que tous les autres membres du poste réunis, voilà pourquoi elle était l’une des rares, pour ne pas dire la seule, à lui témoigner un profond respect. Certes, il n’était pas le chef rêvé, mais elle avait pris le parti d’interpréter le détachement de son supérieur pour une marque de confiance envers ses équipes, un détachement qu’elle n’avait vu s’effriter qu’une seule fois, jusqu’à ce jour, lorsque Georges, le petit génie de l’informatique, avait débarqué au commissariat. Aujourd’hui, ce détachement s’était encore plus ébranlé, jusqu’à rendre le divisionnaire méconnaissable.

  • Je vais être très clair, Leroy, avait-il lancé pour clore une conversation devenu très houleuse, nous avons été appelés sur cette scène de crime, qui n’en est sans doute pas une, tout à fait par erreur ! Cette affaire, quelle qu’elle puisse être, ne concerne pas nos services. Je vous ordonne donc d’oublier immédiatement tout ce que vous avez vu et entendu ! Et cet ordre et non discutable !

« Un ordre non discutable », rumina Keira en sentant un nouvel accès de rage lui monter dans tout le corps. Elle avait eu beau faire part de ses sentiments à Forestier, de ses pressentiments, le divisionnaire n’avait rien voulu entendre. Pourtant, il savait à quel point elle avait une intuition hors du commun ; puis, sans même parler d’intuition, les seuls faits qu’elle lui avait relaté, cette mascarade d’une pseudo police scientifique pour cacher une perquisition sans doute illégale, associée à la présence d’un officier d’INTERPOL suffisaient à jeter un brouillard de suspicions sur une scène de crime qui, pour reprendre les termes de Forestier, « n’en est sans doute pas une ». Elle avait eu beau défendre ses idées, son point de vue, le divisionnaire n’avait rien voulu écouter et tout s’était terminé sur « un ordre non discutable ».

En regagnant le vaste open space où se trouvaient plusieurs dizaine de petits bureau, dont le sien, le gobelet en plastique contenant un liquide chaud et coloré, se voulant être un café, dans la main, Keira avait la très nette impression que Forestier avait subi une pression venant de plus haut que lui. Alors qu’elle se trouvait encore à Provins, il avait certainement reçu un appel, sans doute après qu’elle ait croisé le chemin de ce commandant, une hypothèse des plus probables et qui expliquait le coup de fil de Forestier lui demandant de revenir au commissariat le plus vite possible. Mais qui avait tiré les ficelles de la marionnette Forestier ? INTERPOL ? Vraisemblablement, mais pourquoi ?

Bien que n’étant pas du genre à désobéir à un ordre, même si ce dernier ne lui convenait aucunement, Keira n’était pas non plus une de ces personnes qui acceptent silencieusement les questions sans réponses. Qui, quand et comment, elle ne le savait pas encore, mais quelqu’un allait devoir éclairer sa lanterne si ce quelqu’un souhaitait qu’elle se tienne tranquille. Son mobile se mit à vibrer dans la poche arrière de son jean, la tirant de ses pensées en sursaut. Elle se saisit du téléphone et vit le numéro de Franck affiché sur l’écran LCD.

  • Oui ? dit-elle d’une vois où transpirait une forte nervosité.
  • Prends ta caisse et rapplique à Provins ! répondit Franck d’une voix qui semblait tout aussi nerveuse que celle de sa collègue.
  • Qu’est-ce qui se passe ?
  • Je ne sais pas, exactement, mais cette histoire pue de plus en plus la grosse merde ! Le femme de ménage a été descendue.

La colère de Keira tomba brusquement, tandis que son cerveau se mettait en branle pour analyser l’importance qu’elle devait donner à cette nouvelle information.

  • Les poulets du coin vont certainement aller vers un cambriolage qui a mal tourné, continua Franck, et c’est vrai que certaines pièces de la baraque ont été grossièrement retournées. Leur théorie va donc être la suivante : en rentrant chez elle, la femme de ménage a surpris un cambrioleur, ou plusieurs, et, dans la panique générale, elle a pris une balle.
  • En t’écoutant, je crois comprendre que tu n’es pas supporteur de cette théorie ; qu’est-ce qui te fait croire à un autre scénario ?
  • Plusieurs petits détails. Tout d’abord, un coup de fil que la bonne femme a passé à sa fille, puis un téléviseur resté allumé avec le son coupé… Mais, surtout, la manière dont elle a été descendue !
  • C’est-à-dire ?
  • Une balle dans la nuque, vraisemblablement à bout touchant, avec un angle de tir partant du haut vers le bas, comme si la victime avait été agenouillée.

Keira aperçut Georges qui, toujours derrière son ordinateur, lui faisait de grands signes pour l’inviter à s’approcher. Elle lui adressa un geste de la main pour lui indiquer de patienter quelques minutes.

  • Tu penses qu’il y un lien avec ce qui s’est passé chez Marques ? demanda-t-elle en baissant subitement le ton de sa voix.
  • Je n’en sais foutrement rien ! Ecoute, ramène tes fesses ici, que l’on puisse en discuter autrement que par téléphone !
  • D’accord, d’accord. Où veux-tu que l’on se retrouve ?
  • Chez la victime, avenue Peyrefitte, répondit Franck avant de couper la communication.

Perplexe, Keira alla retrouver Georges qui l’accueillit avec un grand sourire en lui tendant une mini clef USB.

  • Voici l’enregistrement que tu m’as demandé !
  • Merci, répondit-elle en jetant un rapide coup d’œil autour d’elle. J’ai besoin que tu me rendes un autre service, ajouta-t-elle après un instant d’hésitation, cette fois pile poil dans tes cordes de génie de l’informatique. Mais il faut que tu saches que je ne sais pas trop ce que ce service peut impliquer par la suite ; il est nécessaire que cela reste entre toi et moi !
  • Tu m’intrigues. C’est quoi, ce service ?
  • J’ai besoin que tu me trouves un maximum d’infos sur un flic d’INTERPOL, le commandant Stéphane Lemoine. Plus précisément, j’ai besoin de savoir sur quoi il bosse actuellement, s’il y a un lien avec le député Marques.
  • Tu veux que je force le site d’INTERPOL ? répéta Georges à mi-voix, comme pour s’assurer qu’il avait bien compris la demande.
  • Je te le répète, il faut que cela reste entre nous. Personne, pas même Forestier, ne doit savoir !
  • Tout à l’heure, tu faisais allusions à des soucis me concernant, mais, à présent, j’ai la nette impression que c’est toi qui a des problèmes… ou qui ne va pas tarder à en avoir !
  • Est-ce que tu peux faire cela pour moi, s’il-te-plait ?
  • Je ne sais pas combien de temps cela me prendra, mais je ne peux pas opérer d’ici, si tu veux que cela reste discret. Il va falloir que j’utilise mon propre matos, en dehors de ce commissariat !

Liliane émergeait lentement des profondeurs des limbes du sommeil. A mesure que sa vue trouble se dégageait, qu’elle parvenait à distinguer les contours de la pièce, plongée dans l’obscurité, où elle se trouvait, elle se sentait envahie par une forte appréhension, une peur qui lui nouait la gorge et faisait battre son cœur à un rythme effréné ; où était-elle ?

Sa tête semblait être prise dans un large cercle d’un composite inconnu qui se resserrait par instants, lui causant de vives douleurs, un peu comme au lendemain d’une grosse cuite ; mais elle ne se souvenait pas d’avoir bu autant la veille. Elle tenta de ramener sa main droite sur son crâne, mais quelque chose l’en empêcha : son poignet semblait pris dans un objet froid et solide, un objet qu’elle identifia assez rapidement pour en avoir souvent utilisé lors de certains jeux érotiques, voire S.M. Elle leva lentement la tête et les yeux, deux mouvements simples qui lui provoquèrent une nouvelle douleur aigue dans toute sa tête, et elle eut la confirmation visuelle de ce qu’elle avait imaginé : sa main était menottée à l’un des montants métalliques du lit sur lequel elle était allongée. L’appréhension se transforma aussitôt en panique et elle se mit à donner de violents à-coups pour tenter de se libérer, mais elle ne réussit qu’à se faire mal, une douleur qui lui fit lâcher un cri.

« Calme-toi », pensa-t-elle. Elle ferma les yeux et tenta de reprendre le contrôle de sa respiration, inspirant de grandes bouffées d’air pour les expirer le plus lentement possible. Au bout de longues secondes, elle parvint enfin à retrouver un semblant de calme, assez, en tout cas, pour tenter de remettre de l’ordre dans ses idées. « Remettre le puzzle dans l’ordre », se dit-elle en commençant à fouiller au fond de sa mémoire, jusqu’à remonter plusieurs jours en arrière.

Une semaine plus tôt, en pleine après-midi, alors qu’elle flânait dans les boutiques d’un grand centre commercial, Liliane avait reçu un message sur son mobile, un mail émanant de Titia. Cette dernière lui confiait une nouvelle mission de grande importance, un nouveau pigeon à séduire, un certain Christophe Marques. En plus d’une heure et du lieu où se rendre pour forcer la première rencontre et de la manière dont elle devrait être habillée pour l’occasion, le courriel contenait une masse d’informations sur ce Christophe Marques : poids, taille, âge, orientation et penchant sexuel, les femmes qui l’attiraient… un curriculum-vitae à la puissance 1000.

 Liliane s’était réfugiée dans un petit café pour pouvoir prendre connaissance de sa mission en toute tranquillité et elle avait été surprise de découvrir que sa nouvelle victime n’était autre que le fils du député le plus en vue et le plus puissant de la capitale, et, par la force des choses, tout entier dévoué à la cause de Titia ; pourquoi cette dernière voulait-elle à présent s’attaquer au fils ? Mais elle le savait, un ordre de Titia ne se discutait jamais et ne souffrait d’aucunes questions, aussi avait-elle suivi les instructions au pied de la lettre.

Le premier contact s’était déroulé comme prévu : hasard d’une superbe rencontre pour Christophe Marques, mais en fait une machination parfaitement huilée par Titia et dont Liliane en était devenue le bras armé.

Séduire le jeune homme avait-été pour elle un véritable jeu d’enfant et, dès le deuxième soir, elle l’avait mis dans un lit pour lui faire découvrir l’intensité de certains plaisirs ; en quelques jours, quelques nuits, le fils Marques fut à point pour que soit tiré le dernier filin qui ferait se refermer l’implacable toile d’araignée sur lui.    

La veille du jour J, Liliane avait reçu un autre mail de Titia. Dans celui-ci, il lui était expliqué comment et où allait se dérouler l’opération finale. Pour une raison inconnue, Titia semblait savoir que Christophe Marques l’inviterait à un dîner aux chandelles, en tête à tête, dans une maison appartenant à son père, dans un village dont elle n’avait jamais entendu parler : Provins. Le courriel précisait qu’ils ne risquaient pas d’être dérangés par le père, ce-dernier se trouvant à New-York pour affaire : il n’y aurait qu’eux deux et un homme, tapi dans la nuit, qui attendrait le bon moment pour immortaliser la grande scène finale.

Liliane ouvrit les yeux en grimaçant de douleur : un arc électrique avait traversé son crâne de part en part.

  • Putain ! jura-t-elle. Qu’est-ce qu’il m’a fait boire ?!

Au début, tout s’était déroulé comme prévu dans le plan diabolique de Titia. Bien qu’il ne partageait pas les idées politiques de son père, Christophe Marques semblait avoir hérité de son penchant pour le sadomasochisme et la soumission et ce fut donc sans la moindre difficulté qu’elle avait pu le préparer comme indiqué dans le courriel, avec le matériel qui lui avait été remis, en milieu de matinée, par le mystérieux caméraman qu’elle voyait pour la première fois, un détail qui ne l’avait pas perturbé sur le moment, mais, à présent, avec le recul…

Elle avait pris tout son temps pour attacher Christophe au quatre montants du lit, œuvrant savamment, avec délicatesse, alternant les baisers et les caresses sur tout le corps du jeune homme tremblotant de désir. Une fois qu’il avait été totalement entravé, tout à sa merci, elle avait joué un long moment avec la verge devenue aussi dure que du bois et boursouflée de petites veines apparentes. Liliane n’avait que 24 ans, mais, après l’avoir sortie du ruisseau trois ans plus tôt, Titia l’avait prise sous son aile et lui avait enseignée tout ce qu’il était utile de savoir sur les hommes et le sexe. Elle savait susciter le désir, jouer avec lui de longues minutes durant, jusqu’à mettre à genoux l’homme devenu son jouet. Sa soif d’apprendre, sa reconnaissance infinie envers celle qui l’avait aidée, et le plaisir qu’elle éprouvait à se sentir si forte, elle qui avait été si faible, avaient fait de Liliane l’une des meilleurs filles de Titia.

Après avoir nappé ses mains d’un gel lubrifiant, elle avait fait courir ses doigts sur toute la surface de la verge, esquissant un sourire de puissance à chaque fois qu’elle voyait les jambes de son prisonnier se tendre brutalement. Elle s’était ensuite intéressée au gland, le massant plus ou moins lentement, insistant plus particulièrement sur la base du frein, et elle avait observé la grosse veine devenir de plus en plus proéminente, puis se mettre à battre ; elle avait alors lâché la verge et s’était mise à rire en la voyant s’agiter. Christophe avait tiré fort sur les quatre liens qui l’entravaient, puis avait poussé un cri guttural en soulevant ses hanches ; une petite goutte laiteuse était apparue au bord de l’urètre.

  • Non ! avait dit Liliane en refermant une main sur les testicules gonflés. Tu ne jouis pas tant que je ne t’en donne pas l’autorisation !

Laissant Christophe se calmer, elle avait pris un jouet très particulier, un anneau prolongé d’une longue barre courbe, qui se terminait par un plug d’un diamètre assez imposant. Sans dire un mot, elle avait emprisonné les testicules dans l’anneau et avait présenté le plug, préalablement enduit de lubrifiant, à l’entrée de l’anus de son homme jouet.

Liliane s’agita dans le lit où elle était retenue prisonnière. Les derniers effets du puissant sédatif qu’elle avait ingurgité sans le savoir finissaient de se dissiper. Même si son mal de crâne restait encore omniprésent, elle se souvenait à présent de tout et savait parfaitement où elle se trouvait à ce moment même. Elle se redressa jusqu’à pouvoir s’assoir et se sentit prise d’une nouvelle peur panique en réalisant ce qu’il s’était réellement passé dans la maison de Provins. Le drap qui la couvrait glissa dans son mouvement et elle se rendit alors compte qu’elle était entièrement nue.

Tout avait mal tourné dès l’instant où elle avait posé ce fichu bâillon, une épaisse sangle de cuir avec une boule en son centre, destinée à venir se ficher dans la bouche de son soumis. Il s’était passé moins d’une minute avant que Christophe Marques commence à convulser étrangement. Liliane se souvenait de son regard, de la peur grandissante qu’elle y avait lu, avant qu’il ne devienne vitreux, avant que s’éteigne la dernière étincelle de vie. L’inconnu avait alors brusquement fait irruption dans la chambre, s’était approché du lit et avait tâté le pouls. Ensuite, sans dire un mot, il avait retiré le bâillon et l’avait enfoui dans l’une des poches de son épais blouson en cuir noir. A cet instant, Liliane, jusqu’alors tétanisée par l’incompréhension, avait réalisé qu’il se passait quelque chose d’anormal : dans le mouvement que l’inconnu avait fait pour ranger le bâillon, elle avait cru apercevoir l’ombre menaçante d’un pistolet. Tout s’était alors passé comme dans un rêve, ou plutôt un cauchemar. Poussée par une peur viscérale, elle avait quitté la chambre en courant, dévalé l’escalier et traversé la grande pièce du rez-de-chaussée au moment où des pas lourds résonnaient à l’étage. Dans sa course éperdue, elle avait vu briller quelque chose sur le coin d’une table basse : les clefs de contacts du véhicule de Christophe. Elle les avait attrapées au vol, tandis que les pas menaçants s’engageaient à leur tour dans l’escalier, puis s’était jetée à l’extérieur de la maison, soulagée que la porte d’entrée ne fût pas fermée à clef.

Dehors, simplement vêtue d’une mini-jupe et d’un soutien-gorge, elle avait fait un gros effort pour ne pas céder à la panique et se souvenir de l’emplacement où était garée la voiture de Christophe. Une pluie battante se déchainait sur son corps presque nu ; les petits cailloux aux bords coupant parsemés de-ci et delà martyrisaient la plante de ses pieds. Mais, toute à sa peur, elle n’avait pas ressenti pas le froid qui la saisissait, ni la douleur des petites blessures que sa course effrénée lui provoquait.

A 10 mètres, elle avait actionné l’ouverture centralisée et s’était ruée dans l’habitacle, trempée jusqu’aux os, tremblante d’effroi et de froid. Devant elle, l’inconnu, menaçant, venait de surgir au bout de l’impasse. Elle avait réuni les dernières forces de son courage pour trouver le contact et avait démarré sur les chapeaux de roues. Totalement perdue, ne sachant où aller ni que penser, elle avait roulé un long moment dans la campagne Seine et Marnaise dont le jour s’était levé sous un masque de pluie, avant, finalement, d’écouter son instinct qui lui commandait de se rendre au seul endroit où elle pourrait espérer être en sécurité.

Un rai de lumière apparut par l’entrebâillement de la porte de la chambre. Des pas résonnèrent sur du parquet et une ombre masqua en partie le rai de lumière. La porte s’ouvrit d’un coup, laissant apparaître celui chez qui Liliane avait espéré trouver de l’aide, un homme au crâne rasé, un flic de Paris, un ripoux qui touchait une solde conséquente de Titia.

  • Je vois que tu es sortie de ton sommeil, dit-il d’une voix sombre.

Une berline noire se stationna à quelques dizaines de mètres de l’entrée du petit bâtiment de cinq étages. Le conducteur leva les yeux vers la fenêtre éclairée, au deuxième, et eut un rictus de satisfaction. Il serra le frein à main, coupa le moteur et ses feux de croisement, puis se cala confortablement dans son siège en croisant les bras. « Il n’y a plus qu’à attendre qu’ils sortent », pensa-t-il en jetant un œil sur le 9 millimètre, équipé d’un silencieux, posé sur le siège passager.

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