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mardi 29 septembre 2015

Le masque de Titia, chapitre 1 (brouillon)

I

Depuis que le jour s’était levé, la pluie tombait sans discontinuer, tantôt fine et vicieuse, tantôt grosse et violente. A à peine 15 heures, la pénombre qui régnait laissait penser que la nuit était sur le point de tomber. Aussi loin que pouvait porter le regard, et même en y portant la plus grande des attentions, il était impossible de trouver la moindre touche de bleu, même pale, dans l’immensité du ciel qui s’étendait au-dessus de la campagne Seine-et-Marnaise. En cette seconde partie d’octobre, l’automne avait pris sa place, reléguant au rang du souvenir les chaudes journées estivales.

            Tous feux allumés, une Golf noire fendait les trombes d’eau qui s’abattait sur la D231, lancée à vive allure, conduite par un homme d’une quarantaine d’année que ce déluge ne semblait pas perturber. Le gyrophare, posé sur le tableau de bord, jetait des lumières bleutées, tournoyantes, dans tout l’habitacle, qui ne perturbait pas plus le conducteur à l’expression tendue, fermée, fort peu engageante. En fait, en y regardant de plus près, tout en cet homme inspirait plus la crainte que la sympathie : carrure d’un boxer poids lourd, nez cassé, barbe de plusieurs jours, jean, baskets, parka façon treillis militaire… si l’on venait à le croiser dans une rue, il donnerait envie de changer aussitôt de trottoir. Comme une cerise sur ce gâteau indigeste, une bosse déformait le côté gauche de sa parka, une proéminence causée par la crosse de son 357 Magnum. Oui, nous le croisions dans une rue, nous le prendrions sûrement pour un dangereux repris de justice, certainement pas pour le fonctionnaire du SRPJ (Service Régional de la Police Judiciaire) qu’il était en fait.

            Sa passagère n’offrait pas du tout la même impression négative. Chaussures de sport, de la marque aux trois bandes, elle était vêtue d’un jean large et d’un pull en grosse laine, sous un imperméable sombre, si ample qu’il était impossible de deviner ses contours de femme, pas plus que ne se devinait le Sig Sauer (pistolet semi-automatique 9mm Parabellum ultra léger) qu’elle portait à la ceinture. Ses longs cheveux, noir de jais, étaient attachés en queue de cheval et son visage, parsemé de quelques charmantes rides d’une trentenaire, présentait des traits fins et doux, s’ouvrant sur deux grands yeux noirs en forme d’amande et surmontés de longs cils courbés. Bien que ne portant aucun atour pouvant mettre en valeur sa féminité, et si l’on faisait fi de son accoutrement  pour se concentrer uniquement sur la partie visible de sa féminité, on se rendait vite compte combien Keira Leroy était une femme splendide, débordante de charme, une de ces femmes qui ne laissent jamais indifférent.

            La voiture roula dans un profond nid-de-poule, ce qui provoqua une secousse qui tira Keira des réflexions dans lesquelles elle s’était plongée pour faire passer le temps.

-          Nom de Dieu, Franck ! Tu veux nous tuer ?!
-          Ça va, je sais encore ce que je fais !
-          Mais pourquoi tu roules si vite ? C’est un mort qui nous attend là-bas : il ne va certainement pas s’enfuir !
-          Plus vite on arrive et plus vite on repart.
-          Pourquoi ? Tu as un train à prendre ?
-          Je n’ai pas plus envie d’être avec toi, que toi d’être avec moi, alors, fais pas chier !
-          Monsieur à ses humeurs !
-          Ta gueule, Leroy !

Keira Leroy et Franck Mercier ne pouvaient plus se voir, même pas en peinture. Normalement, ils ne travaillaient pas en équipe, mais un malheureux concours de circonstances les avait amenés à partir ensemble sur ce qui était peut-être une scène de crime. Toutefois, leurs relations n’avaient pas toujours été aussi tendues, à la limite de l’agressivité gratuite. Il y eut une époque, pas si lointaine, lorsque Keira commençait à prendre ses marques au SRPJ de Melun, où ils s’étaient bien entendus, au point d’en devenir amants. Leur liaison n’avait été que de très courte durée, juste le temps que la jeune femme comprenne qui était Franck, une brute épaisse à l’intelligence très relative, aimé par personne, et traînant de sombres affaires derrière lui. Aujourd’hui, avec le recul, elle ne comprenait pas comment elle avait pu faire une telle erreur et se demandait pourquoi les affaires internes ne s’étaient pas encore penchées sur lui.

Franck réduisit brusquement son allure ; ils venaient de passer le panneau indiquant qu’ils entraient dans la ville de Provins. Il bifurqua à gauche pour prendre la petite côte qui menait sur les hauteurs de la ville, là où les vestiges médiévaux étaient encore très présents.

Située sur le plateau Briard, bâtie autour d’un promontoire au confluent des vallées de la Voulzie et du Durteint, une légende dit que Provins tient son nom du général romain Probus qui y fit cultiver des vignes en devenant empereur en 276, annulant ainsi l’édit de Domitrius qui avait interdit l’implantation de vignobles en terres de Gaule, afin de favoriser le vin italien.

Mais, si l’origine de son nom ne tient peut-être qu’à un conte érodé par le temps, il est un fait certain : au fil des siècles, profitant d’une situation géographique avantageuse, Provins va prospérer tant et si bien, que la cité frappera sa propre monnaie (le denier provinois) et deviendra la capitale des comtes de Champagne et troisième ville de France, derrière Paris et Reims. 80000 habitants y vivront, contre à peine 12200 de nos jours.

Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, la ville tire aujourd’hui une grande partie de son économie des confiseries, et de divers produits dérivés, à base de la célèbre rose de Provins, une variété importée par Thibaut de Champagne, en 1240, de retour des croisades. Les rosiers sont de forme compacte, tout en arrondi, avec un feuillage d’un vert clair et c’est en juin qu’apparaissent les feuilles semi-doubles, de 8 cm de diamètre, avec des anthères jaunes proéminentes. D’un rouge carmin très brillant, la rose de Provins possède un parfum floral puissant et des fruits sphériques rouge orangé.

Une autre partie importante de l’économie de la ville réside dans le secteur du tourisme, un aspect qui fut, sans doute, négligé un temps, mais qui, aujourd’hui, draine quelques 220000 visiteurs par an.

En ce mardi d’octobre, nous étions bien loin de l’affluence d’un mois de juillet ou août. Sirène hurlante, la Golf passa sans encombre la porte Saint-Jean, d’où partent les vestiges, plus ou moins bien conservés, de la haute muraille médiévale, pour foncer dans la rue du même nom. Passé la Grange aux Dîmes, Franck donna un violent coup de frein et tourna brutalement à droite, rue Couverte, pour s’arrêter net sur la Place du Chatel.

-          Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? s’exclama-t-il.

Une foule conséquente de gens s’était formée sur un large coin de la place, sans doute beaucoup de provinois, mais aussi de nombreux journalistes de la presse nationale. Depuis la voiture, Keira et Franck aperçurent des caméras de BFM TV et quelques camions régis d’autres grandes chaînes télévisés. Un important cordon policier avait été mis en place pour contenir tout ce beau monde au centre de la place.

-          Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? répéta Franck qui tentait de se frayer un passage entre les badauds, à coup de klaxon furieux.
-          On ne va pas arriver à avancer plus loin. Gare-toi là : on va continuer à pied.
-          T’es folle ! T’as vu ce qui tombe ?
-          Et alors ? Tu n’es pas fait en sucre ? Si ?
-          Fais chier !

Keira poussa un soupir d’agacement, puis dégrafa sa ceinture de sécurité et ouvrit rageusement la portière.

-          Fais comme tu veux ! lança-t-elle en quittant la voiture.

Toujours à l’affût d’informations pouvant s’avérer croustillantes, la presse laisse traîner continuellement des oreilles sur les ondes radio de la police et gendarmerie nationale ; ceci n’est pas, bien entendu, un secret pour les personnes qui sont écoutées, et qui usent parfois de stratagème complexe pour rendre des messages incompréhensibles. Keira s’interrogea sur ce qui avait pu déclencher une telle affluence médiatique en ce lieu et commençait à se demander ce qui l’attendait de l’autre côté de la place.

Elle n’avait pas eu beaucoup d’informations concernant la possible scène de crime. En fait, tout c’était passé très vite : elle était à peine arrivée dans les locaux du SRPJ, que son patron lui était tombée dessus pour lui annoncer qu’elle partait, avec Franck sur un possible homicide, un jeune homme de race blanche, retrouvé mort chez lui. A cet instant, cela semblait être les seules informations dont disposait la police ; une heure à peine s’était écoulée, mais il lui paraissait que beaucoup d’autres détails avaient dû tomber entre temps.

Elle se faufila entre des journalistes de LCI et présenta sa carte de capitaine au policier qui se trouva nez-à-nez avec elle. Ce dernier s’écarta en lui indiquant où se rendre d’un simple geste de la main. La pluie avait baissé d’intensité, comme si elle laissait un espoir d’accalmie, mais les gouttes, fines et glacées, se glissaient désagréablement sous le col de l’imperméable de la jeune femme. Elle fourra ses mains dans les poches et rentra le coup dans les épaules, puis gagna, d’un pas rapide, la rue Maufranc. Plusieurs voitures de police et un véhicule du SMUR étaient stationnés devant l’entrée d’une impasse. Keira dut une nouvelle fois présenter sa carte avant de pouvoir accéder à l’impasse ; devant elle, se dressait une imposante bâtisse, sans doute très ancienne, dont tous les volets en bois rouge étaient clos. Sur le toit, une haute cheminée crachait des volutes blanches qui semblaient s’enrouler autour des gouttes de pluies, étrange vision qui donnait l’impression que la fumée souhaitait retenir prisonnières les gouttes de pluie, ou bien danser avec elles.

Après avoir franchi la porte d’entrée, elle aussi gardée par un policier en faction, Keira se trouva dans une pièce aux dimensions vertigineuses, comme si elle venait de mettre les pieds dans un loft, dont le modernisme de l’ameublement tranchait avec l’aspect vétuste de la façade de la maison. Elle jeta un long regard circulaire et remarqua que les lieux étaient savamment compartimentés par l’agencement des meubles. Sur un large coin gauche, on devinait parfaitement l’espace salon, composé de deux grand canapés en cuir blanc, disposés en « L » autour d’une table basse au design très futuriste, et d’un téléviseur écran plat, fixé au mur, dont Keira ignorait qu’il puisse exister une si grande taille. Il était allumé sur la chaine d’informations de BFM, mais, si elle devina, en reconnaissant la place qu’elle venait de traverser, que l’on parlait de Provins, elle ne pouvait entendre ce qu’il se disait, le son ayant été coupé.

Elle poursuivit son tour d’horizon, s’arrêtant un instant sur les détails composant la partie salle-à-manger, admirant la fonctionnalité de la cuisine américaine, placée au centre de la pièce, puis s’intéressa aux personnes en combinaison blanche, gantées et portant des masques couvrant nez et bouche, qui s’affairaient, telles des fourmis travailleuses, dans tous les coins et recoins de l’immense pièce, relevant des empreintes, cherchant des indices ; c’était la première fois qu’elle voyait autant de personnes de la Police Technique et Scientifique dans un même lieu.

-          On se croirait dans un épisode des Experts, pensa-t-elle tout haut.
-          D’abord ces charognards de journalistes et maintenant le grand déballage de moyens… Si tu veux mon avis, cette histoire pue !

Keira tourna la tête et observa la mine songeuse de Franck qui venait tout juste de la rejoindre. Elle savait qu’il avait raison : toute cette activité, qui dégageait une atmosphère électrique, très fébrile, n’avait rien de normale.

-          Je ne peux pas le croire ! Tu fais à nouveau équipe avec ce déjanté ?

Keira afficha un large sourire lumineux à l’approche de la chef légiste de l’Institut Médico Légal du Centre Hospitalier de Melun.

-          Bonjour Elise ! Cela fait un bail !
-          C’est vrai, à croire que l’absence de corps à autopsier t’a fait oublier mon existence ! répondit la légiste sur un ton de reproche.
-          Ne dis pas de bêtises ; j’ai été pas mal occupée ces derniers mois.
-          Et si tu m’expliquais ce que tu as fait de mal, pour que Bartoli te remette en équipe avec… lui ? demanda-t-elle en pointant Franck du bout du nez.

A bientôt 56 ans, Elise Marchetti, italienne de par sa mère, en paraissait tout au plus 40, tant elle avait toujours sur conserver une grande fraîcheur, une joie de vivre en total contraste avec la profession morbide qu’elle exerçait depuis tant d’années. Elle possédait aussi un franc parlé que certains considéraient dérangeant et qui lui avait parfois joué de mauvais tours, mais dont elle s’amusait tout le temps. Elle n’avait pas pour habitude de cacher ses sentiments ou ressentiments, qu’ils soient positifs ou négatifs et Keira avait très vite appris à apprécier cette femme volubile à sa juste valeur.

-          Je n’ai rien fait, répondit-elle en riant, mais Olivier a eu un accident et il est en arrêt. Quant à celui de Franck, il est en congés.
-          Pourquoi ? Il y a encore un équipier qui veut travailler avec toi ? renchérit Elise sur un ton des plus ironiques, en plantant un regard sombre dans les yeux du policier.
-          Toi, je crois que cela fait trop longtemps que t’as pas baiser ! maugréa Franck.   
-          Ravie de constater que ton langage est toujours aussi châtié !
-          On continue les amabilités, ou bien on s’intéresse enfin à ce qui nous réunis ici ? C’est quoi tout ce bordel ?

La légiste et le flic bourru se toisèrent du regard, prêts à s’écharper au moindre nouveau mot de travers. Plus que de l’antipathie, il y avait entre eux une sorte de haine farouche, une rage latente qui les opposait depuis aussi longtemps que Keira les connaissait tous deux. Ne voulant pas que la situation dérape, elle décida d’intervenir en revenant sur le sujet du moment.

-          Au-delà de sa façon de présenter les choses, je dois reconnaître que Franck à raison sur un point : pourquoi y-a-t-il tout ce monde ici ?
-          Ma chérie, tu ne me poses pas la bonne question, répondit Elise dont le visage s’était subitement radouci.
-          Et quelle est donc la bonne question ?
-          Tu pourrais me demander chez qui nous sommes, ou, encore, à qui appartient cette maison…
-          Okay ; à qui appartient cette maison ?
-          A Stéphane Marques !
-          Marques ? répéta Franck. Le député Marques ?
-          Député et candidat aux futures primaires pour la présidence de son parti, précisa Elise. L’un des hommes les plus puissants de l’opposition actuelle et qui, selon toute vraisemblance, se portera candidat à la présidentielle de 2017. La victime n’est autre que son fils !

Keira analysa rapidement ces nouvelles informations. A présent, elle pouvait comprendre la présence massive des journalistes : au cours des huit derniers mois, le député Marques s’était souvent retrouvé en première ligne de tous les grands journaux nationaux, presse écrite, radio, télévision, mais elle ne s’expliquait toujours pas le déploiement des moyens policiers mis en œuvre sur cette affaire. Le ministère souffrait de la politique d’austérité du gouvernement en place, même si ce dernier refusait toujours d’employer officiellement le terme « austère », et faisait donc des coupes drastiques dans les effectifs de la police, comme dans les moyens mis à leur disposition pour mener à bien leurs enquêtes.

-          Les circonstances et causes de la mort, reprit Elise qui semblait avoir lu dans les pensées de Keira, bien qu’encore inexpliquées, pourrait faire un grand tort à la carrière politique de Marques… surtout si la presse venait à s’en emparer.
-          Qu’entends-tu par « encore inexpliquées » ? demanda Keira.
-          Que je n’ai rien pu déterminer car on ne m’a pas encore laissé approcher le corps de la victime. Mais la scène, ou mise en scène, est assez parlante pour qu’une certaine presse se déchaîne contre le député, jusqu’à le tailler en pièce !
-          Bon ! s’exclama Franck excédé par le jeu des mystères, on ne va pas y passer la journée ! Il est où ton macchabée ?

Elise lui lança un regard si cinglant, que, derrière sa massive musculature, Franck ne put s’empêcher de frémir en baissant les yeux.

-          Ça se passe à l’étage ; suivez-moi.

Keira paraissait fascinée par l’étrange et triste spectacle qui s’offrait à sa vue. A l’inverse de la grande pièce du bas, la chambre était relativement petite et très sommairement meublée : une armoire métallique, servant sans doute de dressing, un petit secrétaire et un lit à hauts pieds. Une ampoule, fixée au plafond par son simple fil électrique, délivrait une lumière jaunâtre, quelque peu glauque, qui rajoutait une touche étrange, indéfinissable, à l’ensemble du tableau. Allongé sur le lit, Christophe Marques, 28 ans, semblait dormir paisiblement, la tête tournée sur le côté droit. Entièrement nu, il avait les pieds et mains liés aux quatre coins du lit par de fines cordelettes dorées. Sa verge était enfermée dans une sorte de petite boite transparente fermée par un minuscule cadenas noir. Un anneau, à première vue en silicone, enserrait ses testicules à la base du sexe et se poursuivait par une longue tige courbée qui s’enfonçait entre les fesses, avant de disparaître dans l’anus. A présent, Keira comprenait tout le sens des paroles d’Elise.

Le député Marques était un fervent opposant au mariage pour tous, considérant l’homosexualité comme une dérive pouvant mener au chaos, et il condamnait, combattait, certaines pratiques sexuelles induites, selon ses propres termes, par la prolifération incontrôlée des films pornographiques sur le Net. Qu’une photo de son fils, de cette scène, apparaisse dans un journal et sa crédibilité en prendrait un sacré coup ; il perdrait très certainement bon nombre de ses soutiens, pour ne pas dire tous, et sa carrière politique s’arrêterait net.

Cependant, Keira sentait qu’il lui manquait toujours une information importante. La présence des journalistes étaient expliqués, certes, même s’ils ignoraient le tableau de cette chambre, mais pas celle, aussi importante, du personnel de la PTS, dont trois autres membres inspectaient la chambre dans les moindres détails. Elle se décala un peu sur la droite du lit, tout en respectant une certaine distance afin de ne pas polluer la scène de crime, et scruta attentivement le corps inerte, y cherchant des traces visibles de blessures ; mais rien ne lui parut suspect, en tout cas, pas au point de découvrir une cause de décès. Son regard finit par se poser sur les yeux bleu, encore grands ouverts, et sans vie du jeune homme ; un désagréable frisson lui remonta le long de la colonne vertébrale.

-          Du SM qui aura mal tourné ! avança Franck d’un ton très convaincu.
-          Un peu hâtif comme conclusion, rétorqua Keira. Je ne vois aucunes blessures apparentes… La nuque ne me semble pas brisée… On l’a peut-être attaché, puis étouffé… Vous en avez encore pour longtemps ? demanda-t-elle à l’une des hommes en combinaison blanche.
-          Le corps sera à vous d’ici une dizaine de minutes, répondit l’homme après un court instant de réflexion.

Keira revint auprès de la légiste et de son équipier.

-          Tu tires des conclusions hâtives, dit-elle à ce dernier à voix basse, mais tu as certainement raison sur un point : il y a trop de monde ici qui recherche un peu trop précautionneusement le plus petit des indices.
-          Et cela veut dire quoi, selon toi ?
-          Je n’en ai pas la moindre idée… Tout ce que je peux dire c’est que, jeu sexuel qui aurait mal tourné ou bien meurtre, la personne qui était avec la victime, car il a bien fallu quelqu’un pour l’attacher ainsi, cette personne est partie en étant consciente que le fils Marques était mort… Qui est arrivé en premier sur les lieux ? demanda-t-elle à Elise.
-          Les flics de Provins. Ils sont partis il y a une vingtaine de minutes, environ, avec leur témoin.
-          Il y a un témoin ?
-          Je crois qu’il s’agit de la femme de ménage. C’est elle qui aurait découvert le corps.
-          Et quelle découverte ! Elle peut se faire un pont d’or avec ça ! ricana Franck.

Bien que la remarque ne fût pas totalement dénuée de sens, bien au contraire, Keira ne put s’empêcher de jeter un regard incendiaire à son équipier. Elle avait beau faire tous les efforts possibles, elle ne supportait plus sa présence. Cela n’avait pas uniquement à voir avec sa liaison passée : c’était tout le personnage qu’il incarnait qui la dégoutait aujourd’hui.

-          File au commissariat de Provins, lui dit-elle, et vois ce que tu peux apprendre de ce témoin. Moi, je vais rester encore un peu et tenter d’éclaircir certains points.
-          Oh ! Tu te prends pour la chef, ou je rêve ?

Le visage de Keira s’élargit dans un grand sourire de satisfaction, un sourire ironique et victorieux à la fois.

-          C’est pourtant le cas, répondit-elle d’un ton glacial. Rappelle-toi que j’ai réussi le concours : depuis la semaine dernière, je suis capitaine de police… et toi, tu n’es que lieutenant ! Mais peut-être n’étais-tu pas au courant ?

Franck baissa le regard sans rien trouver à répondre ; en fait, il avait oublié ce détail pourtant si important. Keira savoura le moment, tandis qu’Elise jubilait.

-          Va au commissariat, répéta Keira. C’est un ordre ! Et ne t’occupe pas de moi. Dès que tu auras fini, tu rentres au SRPJ pour taper ton rapport. Moi, je trouverai quelqu’un pour me faire raccompagner.

Place du Chatel, l’effervescence était encore montée d’un cran. De nombreuses rumeurs couraient à présent, parmi les provinois, sur ce qu’il se passait, ou s’était passé, dans la maison du député, des rumeurs dont les journalistes se faisaient le relais pour écrire une histoire, puis la défaire, un peu plus tard, pour en écrire une autre, puis une autre encore. Au milieu de la centaine de personnes, une seule se taisait, ne colportait aucun ragot, mais se contentait simplement d’épier, d’écouter, sans attirer l’attention. C’était un homme de haute stature, portant un chapeau noir à large bord qui le protégeait de la pluie fine. Il estima qu’il en avait appris assez, c’est-à-dire rien du tout, car personne ne savait rien, et qu’il était temps de partir. Il redressa le col de son blouson et s’extirpa de la foule compacte. Faisant des pas très allongés, il s’engouffra dans la rue Saint-Thibault où il retrouva sa voiture. Une fois installé au volant, il retira son chapeau et ouvrit son blouson. Il était chauve et une veuve noire, dont les pattes avant descendaient jusqu’à sa nuque, était tatouée sur la base de son crâne. Son visage était tendu et son regard affichait une certaine anxiété.

-          Quelle merde ! pensa-t-il tout haut. Quelle merde !

Il ferma un instant les yeux et réfléchit sur la manière dont il allait pouvoir annoncer cela, puis il prit une profonde inspiration et sortit son téléphone de la poche intérieure de son blouson. Ce faisant, il découvrit un instant le holster d’épaule dans lequel pendait un Sig Sauer. Il composa rapidement le numéro d’un fixe parisien, puis porta le mobile à son oreille. Au bout de la seconde sonnerie, une voix douce et légèrement cristalline lui répondit.

-          Bonjour, madame, dit-il.
-          Qu’y-a-t-il ?
-          Nous avons un problème.
-          Quel genre de problème ?
-          Le fils Marques est mort.

Il y eut un silence durant lequel l’homme devina que son interlocutrice emmagasinait et analysait l’information qu’il venait de lui communiquer.

-          Si vous m’appelez pour me dire ceci, c’est que cette mort à une cause non naturelle, je suppose ?
-          Oui et non.
-          Pouvez-vous être plus clair ?
-          Il était avec Liliane. D’après ce que j’ai pu comprendre de ses explications, le cœur du fils Marques aurait brusquement lâché.

Il y eut un autre silence, plus long que le premier. Sans doute, l’interlocutrice cherchait à évaluer la situation.

-          Quand est-ce arrivé ?
-          Cette nuit.
-          Liliane n’aurait pas dû se trouver avec lui, cette nuit. Ce n’était pas prévu. Que faisait-elle avec lui ?
-          Du sexe.
-          Où est-ce arrivé ?
-          Dans la maison de Provins. Le jeu avait commencé.
-          Le jeu ? Je ne comprends pas. Je n’avais pas missionné Liliane pour cette nuit !
-          Ce n’est pas ce qu’elle m’a dit.
-          Je ne comprends pas… Vous avez fait le nettoyage ?
-          Je l’ai su trop tardivement. Le SRPJ était là avant moi. Il y a aussi des journalistes, beaucoup de journalistes.
-          Vous n’êtes pas entré ?
-          J’appartiens au 36. Je n’ai aucune raison valable d’être sur les lieux, tant que je n’en reçois pas l’ordre de ma hiérarchie.
-          Bien sûr… Où est Liliane à présent ?
-          Chez moi.
-          Selon vous, la police a-t-elle un moyen de remonter jusqu’à elle ?
-          Je ne sais pas, mais ils ont sorti les gros moyens… Le risque est hautement probable.
-          Voilà qui est fâcheux.
-          Que souhaitez-vous que je fasse ?
-          Rien, pour le moment. Contentez-vous de m’amener Liliane, ce soir, au club.
-          Bien, madame.

L’homme coupa la communication, puis alla dans le journal des appels pour effacer le numéro qu’il venait de composer. Au même instant, un éclair zébra le ciel noir et la voiture vibra sous la puissance du tonnerre qui gronda aussitôt ; un rideau d’eau s’abattit sur la voiture provoquant un vacarme assourdissant.

Située à la fois dans le 1er et 8eme arrondissement de Paris, débutant rue de la Lingerie, près des Halles centrales, pour se terminer  rue Royale, la rue Saint-Honoré, à ne pas confondre avec le boulevard du même nom, doit son nom à l’église collégiale, aujourd’hui disparue, Saint-Honoré d’Amiens, qui se trouvait dans le cloître Saint-Honoré. Elle fait partie des voies très anciennes de la capitales, prolongement, vers l’ouest, du deucumanus maximus gallo-romain, du temps où Paris s’appelait Lutèce.

Tout au long de son histoire, la rue Saint-Honoré, simple chemin reliant Saint-Ouen, Argenteuil et Neuilly jusqu’à la fin du XIIe siècle, connut de nombreuses évolutions et de nombreuses appellations avant de devenir celle que les parisiens arpentent aujourd’hui. Son histoire reste encore très apparente, assez facilement traçable pour qui veut bien prendre le temps de lever le nez et lire les plaques et inscriptions nichés dans les murs de certains bâtiments. Ainsi, en observant attentivement la façade de la pharmacie se trouvant au numéro 115, on peut lire les inscriptions suivantes : « Fabrique d’extraits évaporés dans la vapeur et dans le vide » et « Produits chimiques et pharmaceutiques de Bernard Derosne et Ossian Henry ». Non seulement cette pharmacie existait déjà en 1715, mais Marie-Antoinette s’y fournissait en onguents et produits de beauté ; il paraîtrait même que Hans Alex de Fersen y trouvait l’encre sympathique qui lui permettait de correspondre secrètement avec la reine.

Au 202, une plaque en hauteur rappelle la présence de l’Académie Royale de musique, en fait une salle d’opéra qui brûla en 1781, faisant 21 victimes. Entre les numéros 155 et 161, nous trouvons l’hospice des Quinze-Vingts, fondé par Louis IX pour abriter 300 de ses chevaliers ayant perdu la vue lors des croisades.

Alexandre Dumas père eut son bureau au 216, de 1823 à 1830, époque où il travaillait pour le Duc d’Orléans, futur Louis-Philippe 1er, et séjourna au 185, entre 1864 et 1866.

Au 284, se trouvait autrefois la demeure du marquis Louis de Fontanes, poète et ami de François-René de Chateaubriand et ce n’est qu’à quelque pas de ce numéro, au dernier étage d’un immeuble en comptant six, que l’interlocutrice de l’homme à la veuve noire avait pris ses quartiers parisiens.

-          Une mauvaise nouvelle, madame ?

Madame fit lentement pivoter son fauteuil en cuir noir. Sa chevelure retombait en vagues dorées de chaque côté de ses épaules. Ses yeux, d’un gris hypnotisant, se plantèrent dans ceux de son homme à tout faire : majordome, chauffeur, garde du corps et, à l’occasion, amant.

-          Un contretemps, répondit-elle d’une voix qui trahissait une pointe d’inquiétude.
-          Grave ?
-          Je ne sais pas encore… Fâcheux, sans doute.
-          Y-a-t-il quelque chose que je puisse faire ?

Elle tenait encore le téléphone dans sa main et le faisait machinalement tourner dans ses doigts, comme si cela l’aidait à réfléchir. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait plus ressentie une telle sensation désagréable, mélange de nervosité et d’appréhension incontrôlable, bien longtemps qu’elle n’avait plus eu le sentiment qu’une situation était sur le point de lui échapper. Elle n’avait encore aucuns détails concernant cette sombre histoire, et n’en aurait pas avant le soir, mais son intuition lui soufflait que des jours, sinon difficiles, en tout cas très compliqués se profilaient à l’horizon.

-          Oui, finit-elle par répondre en posant le téléphone sur une table basse. J’ai besoin de me détendre pour retrouver la clarté de mes esprits !

Elle décroisa ses longues jambes fines, gainée dans une fine soie noire, et se leva de son fauteuil pour se diriger, d’un pas lent mais décidé, vers son homme à tout faire. Lorsqu’elle fut à sa hauteur, elle posa ses mains sur ses épaules et y exerça une pression pour le faire se baisser. Une fois qu’il fut agenouillé à ses pieds, elle releva sa jupe noire, découvrant des jarretières aux couleurs pourpres qui maintenaient ses bas, courant le long de cuisses légèrement dorées, puis sa culotte, faite d’un voile léger, sombre, aux bordures dentelées de rouge.

-          Suce-moi ! lança-t-elle sur un ton qui tenait plus d’un ordre, que d’une demande. Fais-moi jouir avec ta bouche ! J’ai besoin d’un orgasme pour y voir plus clair.

L’homme ne marqua pas la plus petite expression d’étonnement ; il était habitué à ce genre de demande particulière de sa patronne, parfois même dans des lieux insolites, pas toujours très adaptés. Il n’en retirait pas systématiquement du plaisir, si ce n’est celui d’en donner, mais il aimait son employeuse, pas de cet amour qui unit un couple lambda, mais d’un amour bien plus puissant, allant au-delà de l’entendement. Il était prêt à tout pour elle, même à mourir, s’il le fallait un jour.

Ce lien puissant  avait commencé à se tisser quinze ans en arrière, à New-York, alors que la jeune Mélissa sortait violemment de son adolescence, qu’elle était perdue dans le chagrin causée par la mort de son père et encore plus perdue dans les méandres obscurs, sournois, tortueux et dangereux de la haute finance. Au fil des années, l’homme taciturne, ancien marine, avait observé la transformation de la chrysalide, avait vu la frêle jeune femme devenir de plus en plus forte, de plus en plus sûre d’elle, se faisant craindre et haïr de ses ennemis ; en quelques années, poussée par des évènements non choisis, Melissa était devenue une femme implacable, machiavélique, sans pitié pour ses adversaires.

Il n’était pas devenu immédiatement son amant ; durant de très longues années, il n’avait été que son garde du corps, parfois son confident, toujours dans son ombre, prêt à bondir sur tous ceux qui auraient le malheur de vouloir s’opposer trop fermement à elle. Puis, cela s’était fait, un soir, sans aucune raison particulière ; peut-être était-ce écrit, tout simplement. Il avait aussitôt regretté ce moment d’égarement, mais pas elle et ils avaient recommencé, pas régulièrement, mais très ponctuellement. Quelque part, ces épisodes faisaient parties intégrantes de leur étrange relation.

Avec un profond respect et une grande application, il approcha ses lèvres de l’intimité voilée, trésor des trésors, dont il savait la source abondante. Un souffle, comme un long trait chaud, balaya les cuisses de Mélissa avant de se transformer en une sorte de courant électrique qui se propagea rapidement dans tout son être. Elle se raidit, rejeta sa tête en arrière et ferma les yeux. Cela faisait bien longtemps qu’elle avait appris les bénéfices d’un orgasme sur un esprit perturbé par des pensées négatives. Elle n’aimait pas particulièrement se servir ainsi de Mickael, comme s’il n’était rien de plus qu’un vulgaire objet à donner du plaisir, mais, à cet instant, elle avait un besoin impérieux de décompresser, de lâcher prise et elle savait l’homme fort habile avec sa langue et sa bouche.

Il posa enfin ses lèvres dans la chaleur moite de l’entrecuisse et Mélissa se tendit en jetant son bassin vers l’avant. Un effluve de désir vint flatter ses narines et il se jeta aussitôt sur le féminin sacré pour le baiser au travers de la culotte, des baisers qui tenaient presque de la dévotion.

Melissa crispa ses doigts sur le pan de sa jupe en laissant échapper un long soupir d’extase, puis elle lâcha le vêtement qui, en retombant, recouvrit la tête de son amant. Elle laissa glisser ses mains sur le coton, jusqu’à ce qu’elle sente le crane de Mickael sur lequel elle appuya fermement. Elle ressentit immédiatement le plaquage plus net de la bouche contre sa vulve et en trembla de plaisir.

Pris dans l’ivresse des senteurs féminine, Mickael se mit à mordiller sauvagement la petite culotte, avant de se mettre à la lécher à grands coups de langue. Petit à petit, sous la pression de l’organe, le tissu s’insinua dans le sillon formé par les grandes lèvres vaginales et s’imbiba des saveurs de la cyprine.

A mesure qu’elle se sentait gagnée par l’excitation, les craintes et doutes qui s’étaient emparés de Mélissa se dissipaient, comme si la longue langue râpeuse, en plus de la faire mouiller si fort, de faire papillonner le creux de ses reins, arrivait à aspirer toutes les idées noires qui avaient submergées son esprit quelques minutes plus tôt.

Mickael fit glisser ses mains le longs des cuisses de sa patronne, les fit passer sous la jupe et empoigna fermement le fessier. Il le massa un moment, tout en continuant ses jeux de langue, et sentait monter son propre désir ; son sexe s’était durci, prenait de plus en plus de place dans son caleçon. Il savait qu’il devrait aller se soulager dans les toilettes, plus tard, car il avait parfaitement compris que cet épisode n’irait pas plus loin que le seul orgasme de sa patronne, mais cela lui importait peu : entendre les gémissements du plaisir qu’il procurait lui suffisait amplement ; tout le reste n’était qu’un détail insignifiant.

Il stoppa son massage des fesses et poussa la culotte sur un côté. Il aspira l’une des grandes lèvres vaginale dans sa bouche, tira dessus, puis la libéra pour planter sa langue dans la cavité qui ne cessait plus de lubrifier. Mélissa laissa échapper un cri et commença à onduler vivement des hanches. Elle ressentait parfaitement bien la langue qui s’activait en elle, telle une anguille électrisante. Des ondes délicieuses montaient le long de ses mollets, s’amplifiaient dans ses cuisses, pour exploser dans ses reins. A chacune de ces explosions, un flot de cyprine se déversait dans la gorge de Mikael qui l’avalait avec un délice non feint. Enfin, il cessa de fouiller la cavité vaginale, pour partir à l’assaut du clitoris émergeant de son cocon. Il fit tournoyer sa langue autour du sublime bouton, puis sur lui, lentement, rapidement, puis lentement encore, et finit par se jeter sur lui à pleine bouche, l’aspirant entre ses lèvres, le suçant sans ménagement.

Toute la pièce vibra des gémissements répétés, des cris jetés sans demi-mesure, transformant l’atmosphère, si tendue quelques instants auparavant, en un jardin des plaisirs dont Eros aurait pu pâlir de jalousie.


Mélissa, perchée sur des escarpins à hauts talons, se sentait de moins en moins sûre de son équilibre. Ses jambes, de plus en plus cotonneuse, semblaient sur le point de se dérober sous elle d’une seconde à l’autre. Ses reins brûlaient d’un délicieux feu intérieur ; de longues vagues balayaient son ventre et venaient mourir, en un enivrant ressac, à l’entrée de sa gorge, pour se transformer, une fois à l’air libre, en de longues plaintes de bonheur. Arriva le moment où l’une d’elle fut plus forte que les autres, comme un raz-de-marée qui lui donna l’impression d’être soulevée du sol. Toutes les fibres de son corps se mirent à vibrer ; elle crut que ses reins explosaient et elle perdit le contrôle de son corps, de son esprit, prise toute entière dans les remous tumultueux de l’orgasme. 

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