I
Jacques
Durand fixait le bout incandescent de sa cigarette avec une grande
concentration, comme s’il y cherchait des réponses à ses trop nombreuses
questions. Cela faisait maintenant quatre ans que le Monde était plongé dans
l’horreur, quatre longues années d’Occupation où il avait perdu tant d’amis,
tant de certitudes, où tous ses repères avaient été bousculés, où la confiance
en son prochain ne semblait plus n’être qu’une sombre définition dans un
dictionnaire. Qui, parmi son entourage actuel, serait le prochain à tomber sous
les balles ? Qui partirait dans d’atroces souffrances infligées par les
interrogatoires de la Gestapo ? Reverrait-il un jour le vent de la liberté
souffler sur son pays ? Entendrait-il à nouveau les cris de joie des
enfants sur la place du village ? Le bout incandescent n’était qu’un bout
incandescent, rouge comme l’enfer dans lequel la France était tombée, sans
aucune réponse à ses questions.
Une
petite brise le fit frissonner et le ramena à la réalité du moment. La nuit
serait encore très fraîche et pluvieuse ; cette année, le printemps
tardait à poser ses valises. Il tira une dernière fois sur sa cigarette, puis
la jeta au loin dans la petite cour. Avant d’entrer dans la maison, il jeta un
dernier regard de l’autre côté de la cour, l’oreille à l’affut du moindre bruit
suspect. Tout paraissait très calme. Tout le village était endormi, respectant
ainsi le couvre-feu.
Il
poussa la porte d’entrée, la referma à double tour derrière lui, puis prit la
lampe à huile posée à même le sol et gravit les quelques marches qui menaient
au premier étage. Il se dirigea au fond du couloir et fit basculer l’échelle
escamotable qui donnait au grenier. Assis
sur une botte de paille, Henri, son frère cadet, écoutait avec attention le
speaker de la BBC, la tête entre ses mains. En face de lui, assise sur une
vieille paillasse, dos appuyé au mur, se trouvait Hélène Grandin, tout aussi
concentrée sur l’émission radio.
« Athalie est restée en extase. Nous
disons deux fois : Athalie est restée en extase »
Cela
faisait un peu plus d’un an qu’Hélène était arrivée dans le réseau Avalon, plus
précisément dans le groupe armé commandé par Jacques, après que son propre réseau
fut entièrement démantelé par les boches et ses membres tous arrêtés et
torturés, avant d’être fusillés.
Hélène
avait été la seule à passer au travers des mailles du filet ce qui avait
suscité beaucoup d’interrogations et de soupçons sur une éventuelle trahison de
sa part. Encore maintenant, beaucoup gardait une même question au bout des
lèvres : avait-elle vendu ses anciens camarades ? Ce ne fut que sur
l’insistance de Jacques et à la condition qu’il la prenne au sein de son
groupe, qu’elle avait pu intégrer Avalon.
« Gabrielle vous envoie ses
amitiés » dit la voix dans le poste radio.
Pour
Henri, son entrée dans le réseau était beaucoup plus récente : à peine
cinq mois. Jacques avait pourtant tout fait pour le dissuader de rejoindre un
groupe de résistance ; il le trouvait trop jeune ; il était son petit
frère.
-
Trop jeune ? Mon cher frère, quel âge, selon toi,
faut-il avoir pour obtenir le droit de combattre pour la liberté de son
pays ? lui avait-il répété sans cesse.
Au bout du compte,
Jacques avait fini par céder, essentiellement par crainte qu’il n’intègre un
autre réseau de résistants. Il préférait l’avoir à ses côtés pour veiller sur
lui.
« De
Marie-Thérèse à Marie-Louise ; un ami viendra ce soir »
Cette
dernière phrase mit brusquement tous les sens de Jacques en éveil. Il
s’agenouilla près du poste et se mit à écouter avec une profonde attention, le
cœur battant fort dans sa poitrine. Cette soudaine émotion n’échappa pas à son
frère.
-
Il se prépare quelque chose, dit Hélène. Depuis que tu
es sorti, il y a des messages de ce genre qui se succèdent à grande vitesse.
-
Henri, fit Jacques, à ton tour de sortir monter la
garde !
En première
intention, Henri eu envie de protester ; lui aussi voulait écouter, savoir
ce qui se tramait. Mais le regard perçant de son frère lui fit comprendre qu’il
n’y avait pas de discussions possibles. Il se leva à contrecœur, ramassa la
lampe à huile et quitta le grenier, prenant soin de bien rabattre correctement l’échelle derrière
lui. A présent, Hélène et Jacques se trouvaient dans une semi-pénombre,
éclairés par une simple bougie.
« Andromaque se parfume à la
lavande »
Hélène se
rapprocha du poste radio, se collant à Jacques sans même sans rendre compte. Coïncidence
étrange, tout comme Andromaque, elle semblait s’être parfumée de lavande.
-
Je crois que tu as raison, murmura Jacques. Ces
messages ne sont pas ordinaires.
Il avait de
plus en plus de mal à contenir l’excitation qui le gagnait. Toutes ses phrases,
au premier abord incompréhensibles, étaient destinées à des réseaux de
résistance ou groupes armés. Depuis le temps, il s’était habitué à entendre de
tas de messages incongrus, mais, ce soir, les messages prenaient une ampleur
différentes, même si, pour le moment, il n’arrivait pas à réellement s’expliquer
ce qui était différent.
« L’heure des combats viendra… »
Cette dernière
phrase résonna longuement et étrangement dans l’esprit des deux jeunes gens. Ces
quelques mots, ils les connaissaient bien ; ils les avaient appris et les
attendaient depuis si longtemps, que cela leur semblait une éternité. Ces mots
guerriers, signe de morts à venir, de nouvelles souffrances, avaient le
paradoxe d’être aussi porteur d’un nouvel espoir, d’une lueur dans la nuit
éternelle. Ils étaient destinés à plusieurs groupes de résistants, dont le sien.
« L’heure des combats viendra… »,
répéta la voix monocorde dans le poste radio.
Hélène et
Jacques échangèrent un long regard, où chacun pout lire dans celui de l’autre
la foule de sentiments qui se bousculaient dans leur esprit.
-
L’heure des combats…, balbutia la jeune femme.
-
… viendra, acheva
Jacques.
-
Alors, tu as entendu la même chose que moi ?
-
Oui, Hélène, oui !
-
Ça veut dire que…
Elle ne put
aller jusqu’au bout de sa pensée. Ses yeux s’embuèrent et, toujours agenouillée
au sol, elle se jeta dans les bras de Jacques. Tous deux se mirent à sangloter,
mais, pour la première fois depuis quatre ans, ce n’étaient pas des larmes de
tristesse. Ils réalisaient la portée, la signification de ce qu’il venait d’entendre :
les alliés arrivaient.
Ils
croisèrent à nouveau leurs regards. Chez lui, l’explosion subite de joie avait
réveillé une émotion trop longtemps
enfoui en lui, celle d’un homme retrouvant l’espoir en la vie, celle d’un homme
aimant une femme.
Hélène aimait
se perdre dans le regard bleu azur de Jacques ; il était reposant,
rassurant. Elle n’avait jamais ignoré les sentiments qu’il éprouvait envers
elle, mais c’était la première fois qu’elle lisait son désir, son amour.
Ses propres sentiments
étaient beaucoup plus confus. Quand elle avait rejoint le groupe de Jacques,
elle venait tout juste de perdre son amour d’enfance, l’homme qu’elle comptait
épouser à la fin de cette sale guerre et qui avait fait partie de la rafle
de son ancien réseau. Jacques l’avait prise sous son aile, l’avait réconfortée
du mieux qu’il l’avait pu, l’empêchant de faire la bêtise de se venger et l’aidant
à panser lentement ses blessures. Elle éprouvait pour lui une amitié très forte,
une amitié qui lui ferait risquer sa vie, sans la moindre hésitation, pourvu
que lui s’en sorte. Mais amitié ne veut pas dire amour, même si ce soir, à cet
instant très précis, elle avait une envie irrésistible de l’embrasser.
Jacques
promena lentement sa main dans la longue chevelure brune de la jeune femme. Leurs
visages étaient si proches, que le souffle de leurs respirations
s’entremêlaient. Hélène apprécia cette caresse. Elle ferma les yeux et approcha
un peu plus son visage, toujours plus près, jusqu’à ce que leurs lèvres se
scellent dans un premier baiser.
D’abord
timide, l’échange se fit de plus en plus passionné. Sous l’impulsion de la
jeune femme, Jacques finit par tomber à la renverse. Allongé sur le sol, Hélène
à cheval sur lui, il éclata de rire, bientôt suivie par sa camarade. Il voulut
enfin lui avouer ses sentiments, oubliant tous ses principes, mais elle lui
imposa le silence d’un geste de la main.
-
La guerre n’est pas encore finie, Jacques. Nous ne
devons pas laisser des sentiments personnels interférer dans notre mission.
Elle avait
raison ; il le savait. Les prochains jours allaient devenir de plus en
plus dangereux et ils devaient restés concentrés sur les objectifs à venir.
Elle vit une ombre assombrir le regard bleu, alors elle se coucha sur lui pour
lui prendre à nouveau les lèvres. De passionné, le baiser devint fougueux.
Entre ses cuisses, elle sentit le sexe de son compagnon devenir de plus en plus
grand, de plus en plus dur. Sans le quitter du regard, elle se recula un peu,
jusqu’à ce que ses mains soient à portée du pantalon en toile grossière de
Jacques. Elle caressa un moment la verge au travers du tissu, puis dégrafa la
ceinture, descendit la braguette et, enfin, libéra le sexe de son carcan. Elle
le regarda un instant, avant de l’envelopper d’une main douce et experte, puis
elle rapprocha sa bouche jusqu’à effleurer le gland du bout de la langue. Elle
entendit la respiration de Jacques se faire plus rapide ; elle engloutit
alors lentement la verge jusqu’au plus profond de sa gorge.
Jacques
sentit tout son corps parcouru d’un intense courant de vie. Un instant, il
pensa à son frère se trouvant dehors à surveiller si des allemands ne venaient
pas leur faire une visite surprise. Un instant, il se sentit pris de remord :
il aurait dû descendre pour lui annoncer l’arrivée prochaine des américains.
Mais ses remords furent vite balayés lorsqu’Hélène commença ses allers-retours
sur sa hampe rigide.
Elle prenait
un plaisir non feint à faire monter le désir de Jacques. Tantôt elle enfournait
entièrement la verge, tantôt elle se contentait de flirter avec le gland,
tournoyant autour du prépuce, le tout en jouant avec les bourses. Puis elle sentit que la grosse veine
commençait à battre de plus en plus vite et elle accéléra alors ses
vas-et-viens de la bouche. Les hanches de Jacques se mirent à bouger de manière
désordonnée et il poussa un râle puissant lorsque l’orgasme l’emporta. Hélène
accueillit le sperme au fond de sa gorge, se délectant de ce breuvage, le buvant
jusqu’à la dernière goutte.
La BBC
continuait à diffuser ses messages codés. Hélène s’allongea tout contre
Jacques, couvrant d’une main la verge encore sensible. Elle ferma les yeux,
écouta encore quelques phrases, puis sentit la peur la gagner. En silence, elle
pria Dieu de ne pas lui enlever, une fois encore, l’homme qui prenait de plus
en plus de place dans son cœur ; des larmes roulèrent le long de ses
joues.
Arromanches, 3 juin 1944
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